Une carrière entièrement consacrée au métier de la menuiserie et particulièrement de la fenêtre aluminium. Bruno Léger, aujourd’hui directeur général du groupe Liébot, a notamment dirigé durant presque deux décennies l’entreprise K•Line et occupe le poste de président du SNFA depuis 2015 où il a succédé à André Liébot.
Une voix qui compte donc dans l’univers de l’aluminium en France où l’ancien élève d’HEC mène aussi des combats pour défendre les intérêts de la profession et participe à unifier les autres professions dans une parole commune qui était très attendue, notamment de la part des pouvoirs publics et des politiques de notre pays.
Bruno Léger nous a accordé une interview dans laquelle il revient sur l’histoire de K•Line et la manière dont le concept industriel de cette fenêtre aluminium a, selon ses termes, “durablement façonné” le marché français de la menuiserie.

Technal et Oxxo hier, le groupe Liébot aujourd’hui auxquels s’ajoute la présidence du SNFA. Lorsque vous observez votre carrière, qu’est-ce qui, selon vous, a le plus évolué dans le domaine de la fenêtre et plus largement dans l’enveloppe du bâtiment au cours de ces années ?
« Vous venez de retracer les grandes lignes de mon parcours professionnel, c’est vrai que j’ai occupé plusieurs postes à responsabilités qui m’ont permis de voir évoluer la fenêtre française. Une évolution que je considère comme spectaculaire par la façon dont la fenêtre française s’est sans cesse réinventée depuis mes premiers pas chez un célèbre gammiste. Notre pays possède une industrie de la fenêtre dont le qualificatif qui me vient spontanément à l’esprit est : “magnifique”. L’histoire de K•Line qui a sans cesse progressé pour occuper aujourd’hui la place de leader est sans conteste l’un des marqueurs de cette évolution. Il y a d’autres très belles entreprises qui innovent se développent et, c’est à noter, qui s’occupent particulièrement bien de leurs clients. Je pense bien sûr à l’ensemble des réseaux, qui quotidiennement, assurent le lien entre nous, industriels, et le client final. Les industriels et gammistes ont beaucoup travaillé, et c’est une de nos particularités en France, pour développer ces réseaux, quelles que soient leurs formes, qui améliorent sans cesse la relation client. Je connais certains pays où l’on fabrique de belles fenêtres mais où les réseaux commerciaux sont quasi-inexistants et dont le marché intérieur est bien plus faible que le nôtre. Une industrie innovante et qui s’occupe bien de ses clients, c’est bien sûr la meilleure façon, si ce n’est la seule, pour maintenir notre part de marché, face aux autres pays européens qui lorgnent sur notre marché dynamique ».

C’est vrai que, vu de l’étranger, le marché français fait souvent rêver par le nombre de ses entreprises et la puissance de ses innovations produits. Ce n’est tout de même pas seulement en raison de l’ouvrant “à la française” ?
« Je pense que nos systèmes de poses, que ce soit en neuf ou en rénovation, y sont tout de même pour quelque chose, dans un marché pour lequel ils ont longtemps constitué une sorte de barrière technique. Même si cette “protection”, liée à notre architecture, nos traditions de mise en œuvre, est aujourd’hui moins prégnante, il n’en demeure pas moins que les pays qui avaient, contrairement à nous, un “dormant universel”, ont longtemps hésité à créer des gammes spécifiquement pour le marché français. Mais nos industriels de la fenêtre n’ont pas fait que se réfugier derrière cette “barrière” et avec un marché fort et puissant avec eux, ont innové, inventé, joué la carte de la valeur ajoutée et ainsi répondu aux attentes d’un patrimoine architectural français parmi les plus riches au monde ».

J’imagine que vous placez la fenêtre aluminium au centre de ce marché hexagonal en constante évolution, vous qui avez effectué toute votre carrière dans ce secteur ? De Technal à K•Line, vous avez accompagné l’essor de la fenêtre alu et le fait qu’elle devienne accessible à une clientèle plus large. Comment s’est déroulée cette mutation ?
« Technal a dès les années 80 développé des solutions de frappe, coulissants et vérandas de belle qualité à destination du particulier, et les a fait connaître par sa communication de marque et son réseau des Aluminiers Agréés. Du très beau travail. Dans les années 90, K•Line a contribué à l’émergence sur le marché français d’un nouveau standard de fenêtre : une fenêtre aluminium, très fine, à ouvrant caché. Si on ajoute que cette fenêtre est devenue très performante sur le plan thermique tout en laissant rentrer un maximum de lumière avec ses profilés fins au design soigné, vous avez la recette d’un “phénomène”. Beaucoup de nos pays voisins admirent et surtout envient la finesse des fenêtres françaises issues de cette technique de l’ouvrant caché. André Liébot a été visionnaire, dès 1995, en croyant avec conviction qu’il était possible d’offrir au consommateur français une fenêtre aluminium à la portée de leur budget mais qui soit aussi belle et surtout efficace. Je pense sincèrement que nous y sommes parvenus ».

Est-ce donc les attentes du marché français qui ont fait le succès de K•Line ou bien est-ce K•Line qui a transformé et hissé ce marché où il est actuellement ?
« (sourires), L’œuf et la poule n’est pas tout à fait la parabole qui convient pour analyser ce phénomène. Si l’aluminium s’est développé en France pour devenir le premier matériau en valeur du marché, avec maintenant 30 % de part de marché en volume, c’est la combinaison de l’action des entreprises, K•Line en fait partie mais nous ne sommes pas les seuls, et du collectif avec un syndicat actif et puissant comme l’est le SNFA. Il est toutefois clair, qu’avant K•Line, la fenêtre aluminium souffrait de ses modestes performances thermiques et surtout de son coût trop élevé. Il fallait diriger l’aluminium de la maison d’architecte qui faisait rêver vers une fenêtre perçue comme “possible et envisageable” pour des projets d’habitats plus modestes. Notre réussite, c’est qu’aujourd’hui on retrouve des fenêtres aluminium dans toutes nos régions de France, dans tous les types de marchés et pour des projets tant prestigieux que modestes, c’est là notre vraie fierté ».

Quelles sont les étapes, sur le plan industriel, que vous considérez comme majeures pour la fenêtre K•Line ?
« Pour qu’elle devienne plus performante, nous avons considérablement amélioré l’isolation de nos profilés, en améliorant génération après génération la rupture de pont thermique. Pour qu’elle devienne plus accessible nous avons totalement changé le process de fabrication d’une fenêtre aluminium en nous inspirant dès le début des méthodes de l’industrie automobile. Avec l’adoption de la transitique, du stockage automatique de profilés, de tronçons, de vitrages, d’ouvrants, avec les centres d’usinage, barretteuses, sertisseuses quatre angles, etc., K•Line a vraiment créé un modèle industriel qui s’est amélioré et transformé au fil du temps mais dont on retrouve toujours l’esprit dans nos sites et notamment dans notre dernière usine, Lima, implantée à Saint-Vulbas dans l’Ain. Cette évolution, où l’automatisation est au cœur du process, a permis de réduire drastiquement le prix de revient des fenêtres aluminium ».

Créer cette formule industrielle nouvelle pour l’aluminium s’est-il fait en collaboration avec les fabricants de machines ?
« Oui, le co-développement a été très important lors de l’implantation de nos usines, les unes après les autres. Nous avons également beaucoup travaillé en co-développement sur les systèmes d’isolation des profilés. Notre souhait était de rendre industrielle l’isolation dans la fenêtre et nous avons fortement collaboré avec les entreprises qui fabriquaient ces barrettes sans oublier les machines utilisées pour barretter nos profils ».

Vous évoquiez Lima. C’est une usine dans laquelle le laquage est intégré dans le flux de production. Est-ce une nouvelle étape de cette industrialisation à laquelle vous faites référence ?
« Oui, c’est effectivement une étape importante dans notre stratégie industrielle. C’est la première fois que nous intégrons une unité de laquage dans le flux de production principal. Au-delà de cette particularité, on peut considérer chaque usine que nous avons construite comme des étapes industrielles dans la mesure où, à chaque fois, nous sommes allés plus loin dans l’automatisation et l’amélioration de notre productivité. Avec comme fil rouge : produire une fenêtre aluminium haut de gamme pour un spectre commercial le plus large possible ».

La prochaine étape pourrait donc être Exal, l’usine d’extrusion qui est un projet mené par la famille Liébot ?
« Effectivement, une étape qui se situe donc en amont des usines K•Line. Elle nous permet de rapprocher encore plus la production des profilés de l’usine de fabrication des fenêtres avec une distance de moins de 50 mètres entre les deux sites d’Exal et de Lima. De la billette à la fenêtre prête à expédier, sur le même site, presque sans rupture de flux, pour des gains de réactivité, de qualité, de productivité et... d’émissions carbone ».

On peut aussi prendre ces étapes dans l’autre sens : même si j’imagine que vous modernisez et investissez régulièrement dans vos sites, est-ce que ces nouvelles avancées en matière d’automatisation de Lima vont être développées et appliquées dans vos autres usines ?
« Oui, nous y réfléchissons. On pourrait, bien entendu, s’inspirer de ce qui fonctionne le mieux dans notre dernière usine et le mettre en pratique dans nos autres sites plus anciens ».

Et dans vos futurs sites également comme pour votre projet d’usine City qui devrait voir le jour aux Herbiers ?
« Le projet de notre usine City, aux herbiers, n’est pas encore officiellement lancé, la décision sera prise avant cet été. C’est une usine dont les flux, les modes de fabrication et l’automatisation seront adaptés aux produits spécifiques K•Line City destinés aux marchés du tertiaire ».

Vous avez évoqué le mode de fabrication des fenêtres. Est-ce que sur le plan
de la fonctionnalité du produit fini vous avez aussi œuvré à l’évolution de la fenêtre ?
« Une fenêtre fine à ouvrant caché était déjà une vraie révolution en soi (sourires) mais si on y ajoute les fonctions que nous y avons intégrées ces dernières années, on peut effectivement parler d’une deuxième révolution. Nos fenêtres ne font pas que laisser entrer plus de lumière, elles sont maintenant toutes — frappe, portes et baies coulissantes- connectées et motorisées ».

En quoi est-ce aujourd’hui “révolutionnaire” de connecter une fenêtre ?
« Ce n’est pas la connectivité en soi qui est “révolutionnaire”. Notre obsession était que ces fonctionnalités nouvelles soient, elles aussi, accessibles à tout le monde. Et non pas réservées à des consommateurs branchés, aisés ou, comme nous l’indiquions pour la menuiserie alu d’antan, à des réalisations architecturales de prestige. Aujourd’hui, vous le savez, notre fenêtre a intégré une fonction de sécurité avec des capteurs intégrés destinés à informer les utilisateurs sur l’état de verrouillage de leur habitat. Elle a aussi intégré des fonctions de confort avec l’ouverture à distance. Sans oublier les notions de santé avec la gestion automatique de l’aération, pour améliorer la qualité de l’air intérieur, en fonction de l’humidité ou du taux de CO2. Motorisée, connectée, scénarisée mais à un prix... raisonné. C’est ce “mantra” qui nous a guidés à chaque étape de la digitalisation des fonctions de nos fenêtres. Nous sommes conscients que la fenêtre est désormais définitivement intégrée dans l’univers de la maison connectée et comme il est dans nos gènes de rendre accessible l’innovation, nous proposons ces solutions connectées à des prix très abordables. Je vous donne un seul exemple : les capteurs qui équipent nos fenêtres et nos portes d’entrées sont commercialisés depuis 2018 au grand public au prix de 20 euros TTC installé, par fenêtre. Un prix destiné à faire en sorte que personne ne puisse se passer de ce service, qui rend la vie plus sereine, pour des raisons économiques. Encore une belle illustration de notre mission : Permettre au plus grand nombre de bénéficier d’une fenêtre fine, élégante, qui laisse entrer plus de lumière, et dont les fonctionnalités nouvelles, accessibles en prix, simplifient et améliorent la vie quotidienne.
Quant à moi, et c’est une forme de conclusion de cet entretien, je suis fier des équipes K•Line qui ont mis en œuvre au long de ces 17 années ces magnifiques projets d’innovation — produit, usine, services digitaux — et je regarde avec bonheur tous ces jeunes qui créent ou développent les entre- prises d’installation de fenêtres, attirés par un marché toujours porteur, et par la modernité des produits connectés et outils digitaux qui sont mis à leur disposition ».

Propos recueillis par Frédéric Taddeï