L'entreprise Les Nouvelles Menuiseries Grégoire, qui avait sollicité l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, le 2 mars dernier ( https://www.verreetprotections.com/placement-en-redressement-judiciaire-des-menuiseries-gregoire/ ) auprès du tribunal de commerce de Périgueux, avait deux mois pour retrouver un repreneur. Hélas, aucun repreneur n'a été trouvé durant ces deux mois par les deux administrateurs judiciaires, l'entreprise, qui emploie 236 personnes va donc être liquidée.

Cette fois-ci le Groupe Lorillard n'a pas souhaité reprendre l'entreprise

Candidat à la reprise de Grégoire en 2018, la reprise de l'entreprise en redressement judiciaire n'a pas intéressé la groupe Lorillard en 2022. "Nous n'avons pas répondu positivement aux diverses sollicitations du mandataire, région et même syndicat de l'entreprise, nous explique Thierry Luce, Président de Lorillard. Nous leur avons expliqué que, depuis le rachat par Prudentia en août 2018, le Groupe Lorillard a racheté HP Fermetures et Menuiseries dans le Sud Ouest et le dossier Grégoire n'a plus d'intérêt pour notre Groupe, de plus un dossier devenu trop compliqué pour nous. Pour rappel, ajoute Thierry Luce, Grégoire avait déjà été cédé à un premier fonds en 2007 avec un chiffre d'affaires dépassant les 100 millions d'euros et un EBE et des résultats très confortables. La même année, Lorillard était cédée à ses managers et investisseurs privé avec un chiffre d'affaires de 70 millions d'euros et des résultats beaucoup plus faibles et à ce jour Lorillard affiche un chiffre d'affaires de 230 millions et est toujours profitable alors que Grégoire est descendu à environ 30 millions d'euros de chiffre d'affaires avec un 2ème dépôt de bilan et désormais une liquidation. Un dossier sur lequel il y a des leçons à retenir",  conclut Thierry Luce.

Interview de Dominik Zwerger

"Force est de constater que les négociations n‘ont pas permis d‘aboutir à un accord avec les clients de l‘entreprise et qu‘il n‘y avait aucune volonté de „voler au secours“ de Grégoire "

Dominik Zwerger, dirigeant du fonds Prudentia qui avait repris l’entreprise de Saint-Martial d'Artenset (24) en juin 2018 (lire notre article), a accordé à Verre & Protections Mag, un entretient dans lequel il revient sur les difficultés de Grégoire et en analyse les raisons.

Verre & Protections Mag : Placée en RJ le 2 mars dernier, Les Nouvelles Menuiseries Grégoire n’ont donc finalement pas trouvé repreneur. Quelles sont, selon-vous les raisons principales de cette absence d’intérêt pour cette reprise d’actifs de la part des industriels de la menuiserie ?
Dominik Zwerger : " Le marché du collectif neuf est en effet un marché très difficile. Les contrats sont signés sur des durées longues, souvent 18 mois et plus, les clients ne paient aucun acompte et règlent une fois que les menuiseries sont livrées et posées. Cela créé d‘importants besoins de BFR, déjà en temps normal. Or, la crise du Covid, puis surtout l’envolée des prix avec la crise des matières premières et les difficultés d‘approvisionnement ont amplifiés ces besoins de fonds de roulement de manière drastique. Enfin, les Nouvelles Menuiseries Grégoire étaient encore trop fragiles à l‘entrée de la crise début 2020 ".

Est-ce à dire qu’aujourd’hui en France une menuiserie industrielle ne peut pas se développer sur le marché du collectif neuf ?
"Le critère de taille est important, il faut atteindre les 100 millions d‘euros de chiffre d’affaires pour compter dans ce marché, ce qui était la taille historique des Menuiseries Grégoire. En dessous, c‘est très difficile d‘exister".

Vous portez un jugement sévère avec les grands clients donneurs d’ordre du BTP qui, expliquez-vous, “n‘ont accepté aucune hausse ou revalorisation des marchés en cours”. Pensez-vous qu’il aurait fallu règlementer cette revalorisation pour éviter son impact sur les fournisseurs comme vous ?
" Nous avons tout essayé, notamment en réunissant tous les partenaires de l’entreprise sous l‘égide du CIRI. Force est de constater que ces négociations n‘ont pas permis d‘aboutir à un accord avec les clients de l‘entreprise et qu‘il n‘y avait aucune volonté de „voler au secours“ de Grégoire ".

Avez-vous eu des contacts avec l’administration depuis que les salariés de Grégoire en ont appelé à Emmanuelle Macron durant la campagne électorale ?
" Les pouvoirs publics ont été informés de la situation de l’entreprise tout au long de ces trois années, tout d‘abord au niveau local, puis au niveau national. L‘Etat nous a fortement soutenu, mais à la fin les besoins de trésorerie étaient trop importants ".

Dans le cadre de cette liquidation, comment Prudentia compte accompagner les salariés ?
" Dans cette affaire, Prudentia a investi deux fois et demi plus que ce à quoi il s’était engagé lors du rachat. Nous avons tenu notre rôle et le président des Menuiseries Grégoire a tout fait pour tenter de trouver un repreneur. Depuis l’ouverture de la procédure collective, c’est aux institutions légales de répondre aux légitimes questions des salariés et d’appuyer les demandes de la direction quant au paiement des prestations réalisées auprès des clients grands donneurs d’ordre du BTP ".

Pour revenir à la liquidation, vous avez fortement investi dans l’outil industriel, l’usine ne pourrait-elle pas intéresser un industriel du secteur. D’autant qu’en plus des équipements, il y a un vrai savoir-faire dans la menuiserie bois ?
" Oui, l‘argent de la Région Nouvelle Aquitaine et de Prudentia a servi pour acheter des machines et renouveler l‘outil industriel. A ce jour, aucun repreneur ne s‘est manifesté en raison des difficultés de ce marché évoqués plus haut ".

Prudentia possède également Ambonati. Comment se porte cette entreprise, plus axée sur la rénovation, que vous avez reprise en 2019 ? Sera-t-elle impactée par la liquidation des Nouvelles Menuiseries Grégoire ?
" Ambonati est sur le marché des artisans et des particuliers, via des réseaux de distribution. Ce marché est en croissance et les hausses de prix indispensables sont beaucoup plus faciles à faire passer. Aussi, le site industriel est très récent avec un bon niveau d‘investissement historique, ce qui facilite le redressement industriel. Il n‘y aura donc aucun impact sur Ambonati. Par contre, Ambonati connaît les mêmes problèmes d‘approvisionnement en matières premières que tout le secteur. Il s‘agit ici de problèmes passagers que l‘entreprise va surmonter grâce au travail de sa direction et le soutien de Prudentia ".

Cet épisode sonne-t-il la fin de l’intérêt de Prudentia dans le domaine du bâtiment ou bien êtes-vous toujours en veille, notamment sur le marché de la menuiserie, très animé actuellement en matière de fusions-acquisitions ?
" Le dossier Grégoire est très particulier. D’abord compte tenu de la situation de l‘entreprise au moment de la reprise, celle-ci s’est étonnement révélée beaucoup plus fragile que prévue. Ensuite, en raison de son positionnement sur le marché du collectif neuf. Enfin, n’oublions pas que nous venons de vivre la pire crise depuis des décennies et que forcément les acteurs les plus fragiles sont aussi les plus vulnérables ".

Propos recueillis pas Frédéric Taddeï