Cécile Sanz, présidente du groupe FPEE et Patrick Bouvet, PDG de Bouvet SA ont reçu Verre & Protections Mag et accepté de répondre à nos questions. Dans cette interview, ils reviennent en détail sur la genèse du rapprochement de leurs groupes respectifs (lire également notre article), leurs projets industriels et commerciaux, la stratégie qu’ils entendent mener pour pérenniser et développer cette nouvelle alliance. Découvrez cette co-interview exclusive…

Verre & protections : Vos deux groupes vont donc mettre en commun leurs moyens et renforcer leurs positions sur le marché français. Comment est né ce projet ?

Patrick Bouvet : « C'est durant le salon Bâtimat 2017. Je passe dans les allées et je m'arrête sur le stand FPEE pour saluer mes collègues. On se retrouve autour d'un verre avec Cécile Sanz et Marc Ettienne, on parle du marché et notamment des difficultés de ce marché. Marc Ettienne suggère, au cours de la discussion, que nous pourrions peut-être “faire des choses ensemble”. Il faut dire que nous nous connaissons depuis très longtemps, nous sommes voisins et en plus assez complémentaires dans nos produits. Il y avait peut-être des choses que l'on pouvait effectivement faire ensemble » .
Cécile Sanz : Nous avons commencé à nous rencontrer très régulièrement fin 2017 et surtout début 2018, au début en comité restreint, puis, les échanges se précisant très rapidement, nous avons mis en place un groupe de six personnes, trois pour chacun de nos groupes : Emmanuel Bouvet, Patrick Bouvet, Marc Ettienne (fondateur de FPEE), Emmanuel Lecoz (DG de Minco), Joël Mercier (DG de FPEE) et Cécile Sanz. Plus on avançait dans nos discussions, plus ça nous semblait évident qu'il y avait quelque chose à faire ensemble, en fait ! ».

Donc, l'évidence est apparue très vite ?

Patrick Bouvet : « Oui, c’est effectivement devenu très vite évident, facilité par notre complémentarité au niveau de la clientèle. Nous ne sommes pas sur les mêmes marchés. »

Vous devez tout de même être un peu concurrents sur certains segments de marché ?

Cécile Sanz : « Sur le terrain, de temps en temps, mais, relativement peu, puisque nous, chez FPEE, nous sommes exposés à 85 % sur le marché de la rénovation et une très grosse partie via nos réseaux de distribution ».
Patrick Bouvet : « Chez Bouvet, cette partie ne représente que 12 % de notre activité. Le reste de nos ventes étant plutôt ciblé vers le menuisier traditionnel, le négoce et le constructeur ».
Cécile Sanz : « En fait, ça a facilité l'élaboration du projet en lui-même mais ce qui a accéléré nos échanges, c'est la complémentarité des compétences dans le groupe. Parce qu'il y a dans le groupe Bouvet l'extrusion et le plaxage, entre autres, et chez FPEE, le laquage. Ce sont des complémentarités industrielles très évidentes et qui donnent tout de suite l’envie de réaliser des projets communs ».

"Tous les actionnaires de FPEE, à l'exception des actionnaires financiers, et tous les actionnaires de Bouvet, s'associent"

Au delà des synergies industrielles, n’y a-t-il pas également une volonté pour vous d’être plus forts en devenant plus grands ?

Patrick Bouvet : « Oui, nous sommes partis du constat qu’aujourd'hui, le marché de la fenêtre en France ne bénéficie plus d’une croissance régulière mais demeure très stable, avec des parts relativement figées. Donc, si l’on veut trouver de la croissance dans un tel marché, il n’y a que deux axes, à mes yeux, possibles : l'innovation-produit et les prix. Et pour être performants sur ces deux axes, la notion de taille est stratégique ».
Cécile Sanz : «Nous nous sommes effectivement demandé comment pérenniser nos activités sur un marché qui est aujourd’hui à maturité et qui va devenir de plus en plus compliqué ».

Mais vos groupes pouvaient, l'un comme l'autre, procéder par croissance externe. Il y a bon nombre d'entreprises en instance de cession en France.

Patrick Bouvet : « Bien sûr. Nous sommes tous à l'écoute du marché, nous avons d’ailleurs souvent étudié les mêmes dossiers ! Mais nous avons, à chaque fois, établi le même constat : il existe un vrai risque à reprendre des sociétés plus petites, qui vont être sans doute difficiles à intégrer dans nos structures, dans nos modes de fonctionnement de par leurs systèmes d'information, de par leur fonctionnement et leur positionnement également. Nous avons donc considéré qu’il serait plus raisonnable de rassembler deux entreprises qui ont à peu près la même histoire, la même philosophie, qui ont la même vision du marché et, in fine, de les rapprocher ».

Dans l’annonce officielle, vous avez utilisé le mot “symbiose”. Qu'est-ce qui différencie une symbiose d'une fusion, d'une absorption ou d'une association ?

Cécile Sanz : « La symbiose symbolise une action réciproquement profitable dans laquelle les acteurs continuent à exister. Ce que nous n'aimons pas vraiment dans le mot “fusion”, c’est, pour reprendre vos termes, l’absorption des identités. Alors, même si, quelque part, nous fusionnons nos projets, nous tenons farouchement à ce que l'identité de chaque groupe reste et demeure. Chaque “organisme vivant” de cette symbiose va donc continuer à vivre sur le marché comme il vivait avant ».
Patrick Bouvet : « Symbiose signifie pour nous “mise en commun de moyens” dans un système où chaque groupe reste autonome et va accroître ses compétences dans son domaine ».

«Nous nous sommes demandé comment pérenniser nos activités sur un marché qui est aujourd’hui à maturité et qui va devenir de plus en plus compliqué ».

Justement, à ce niveau-là, peut-on parler de la nouvelle structure que vous avez créée pour abriter votre rapprochement. Quel “montage” avez-vous choisi, comment allez-vous fonctionner ?

Cécile Sanz : « Nous avons fait le choix de la simplicité. Tous les actionnaires de FPEE, et tous les actionnaires de Bouvet, s'associent ensemble pour créer une structure qui n'aura pour objectif que de détenir les deux groupes dans leur ensemble. Pour être tout à fait exacte, les partenaires financiers qui nous accompagnaient et qui nous ont soutenus en 2015, ne restent pas avec nous dans cette nouvelle aventure 100% industrielle. »

Vous créez donc une holding de tête ?

Cécile Sanz : « Oui, c'est une holding sans salarié qui nous permettra de gérer en commun l'avenir des deux groupes, les projets, parce qu'il y aura des projets industriels évidemment, des investissements ».
Patrick Bouvet : « Nos deux groupes s’appuieront sur cette holding pour retrouver la croissance que nous souhaitons en mettant en œuvre des synergies industrielles décidées ensemble, principalement en matière d’achats, de laquage, et d’extrusion ».

Au travers de cette mise en commun d'un projet industriel, j'imagine que vous arrivez avec chacun vos spécificités tout en ayant des activités tout de même communes. En schématisant, est-ce que Bouvet va extruder pour FPEE et est-ce que FPEE va laquer pour Bouvet ? Ou alors est-ce que vous allez créer de nouvelles structures industrielles ?

Patrick Bouvet : « Cette question est multiple et il est plus facile de vous répondre sur certains points que sur d’autres. Est-ce que FPEE va laquer pour Bouvet ? La réponse est oui. Est-ce que FPEE va laquer la totalité de Bouvet ? C'est non. Même si FPEE Multilaque va devenir un fournisseur de Bouvet. Ensuite, est-ce que Bouvet va extruder pour le groupe FPEE ? Peut-être… »

Ma question, en fait, ne s’arrêtait pas au laquage et à l'extrusion mais visait le projet industriel commun. Sur quoi cette association peut-elle déboucher sur le plan industriel ? Est-ce que vous allez monter ensemble de nouvelles usines, de nouvelles unités de production ?

Cécile Sanz : « Bien entendu, on pourrait, oui. Ce rapprochement va avoir un impact sur l'innovation et sur les produits et donc logiquement sur la production et les procédés ».

Et aussi sur les achats ? Allez-vous les mutualiser ? Idem pour chacun de vos bureaux d'études qui devraient logiquement travailler sur des sujets identiques ?

Cécile Sanz : « Votre question est un peu prématurée par rapport à l’avancée de nos travaux, mais évidemment nous allons dans ce sens. Il existe entre nous une logique de partage d'expériences. Je peux vous assurer que nos équipes ont hâte de commencer à travailler ensemble. On garde nos spécificités, bien évidemment, sur la partie “développement produits”, mais nous avons envie de regarder des choses en commun. Chez FPEE, nous avons besoin, sur le marché de la rénovation et avec nos réseaux, de produits très spécifiques qui ne seront pas forcément adaptés aux clients du groupe Bouvet. Mais, pour autant, il y a peut-être des gammes ou des produits qui le seront, et sur ces solutions-là, nous travaillerons ensemble et aurons des développements communs. Je vous donne un exemple concret : la fenêtre connectée. Connecter une fenêtre, que ce soit en neuf ou en rénovation, relève de la même démarche technique. On va donc essayer d'avancer de façon pragmatique ! ».

"Ce rapprochement va avoir un impact sur l'innovation et sur les produits et donc logiquement sur la production et les procédés"

Cela va jouer sur vos gammes respectives ?

Patrick Bouvet : « On les enrichira peut-être. Non pas sur la fenêtre proprement dite, mais, sur des produits complémentaires. Par exemple, Bouvet est un fabricant de volets roulants et FPEE est un fabricant de volets battants. Il y aura des synergies industrielles dans ce sens-là. On essaiera de s'appuyer sur les forces de chacun. Pour être plus précis et vous donner un exemple parlant : chez Bouvet, nous fabriquons à la fois des volets roulants et des volets battants. Sur les volets battants, FPEE est très en avance sur nous, donc c'est un dossier que nous allons fermer. Mais l'idée, c'est vraiment de garder une indépendance sur le marché au niveau commercial et surtout, de ne pas perturber ce qui fonctionne actuellement très bien ».
Cécile Sanz : « Il ne faut effectivement pas avoir envie de changer des choses qui marchent bien. Nous sommes deux groupes, en bonne santé. Donc l'idée, c'est de garder ce qui fonctionne et d'essayer d'apporter des choses en plus ».

Au moment où vous opérez ce rapprochement, vous avez, l'un comme l'autre, des projets en cours. Vont-ils être impactés par ce rapprochement ou est-ce que vous continuez à suivre vos programmes d’investissement respectifs ?

Cécile Sanz : « Tous les projets d'investissement “classiques” suivent leur cours. Les budgets d'investissement pour 2019 sont réalisés. Chacun va continuer à mener sa propre politique d'investissements ».
Patrick Bouvet : « En revanche, cela a renforcé les décisions que nous devions être amenés à prendre. Ça leur a donné plus de sens encore et notre rapprochement nous a donné encore plus de motivations à nous engager dans nos investissements productifs ».

A ce sujet, quels sont, l'un comme l'autre, vos projets industriels les plus importants en cours ?

Cécile Sanz : « Chez FPEE, nous doublons la surface de l'usine de volets battants pour laquelle nous avons racheté un nouveau bâtiment, nous sommes actuellement en train de réaliser la partie VRD et l'usine sera prête en avril prochain.
Patrick Bouvet : « En ce qui nous concerne, nous poursuivons le développement des multi-matériaux avec le coulissant Coloriance (PVC, alu, fibre de verre) et surtout une gamme totalement dédiée au neuf, qu'on essaiera peut-être de développer sur la rénovation par la suite ».

"Nous ne sommes pas sur les mêmes marchés"

Comment ont réagi vos clients respectifs à l’annonce de votre rapprochement ?

Patrick Bouvet : « Après le formidable retour de la part de nos salariés, qui est pour nous une vive source de satisfaction, nos clients ont immédiatement réagi de manière également très positive ».
Cécile Sanz : « D’autant plus que nos clients font justement très bien la différence sur nos positionnements qui ne sont pas tout à fait les mêmes. De plus, en ce qui concerne FPEE, nous souhaitions, depuis 2015, retrouver de la pérennité et cette alliance nous apporte cette pérennité. Et cela, nos clients, eux aussi, en sont conscients ».
Patrick Bouvet : « Tout comme ils sont conscients de notre attachement commun au ”fabriqué en France”. Nos clientèles sont très attachées aux mêmes valeurs que nous. Et leurs réactions positives sont liées au rapprochement des valeurs communes de FPEE et de Bouvet qui, quelque part, sont les mêmes que les leurs ».

Dernière question, la holding que vous avez créée, comment se nomme-t-elle ?

Cécile Sanz et Patrick Bouvet, ensembles : « Cette société n'a pas de nom ».

Alors, pourquoi ne l'appelez vous pas “Symbiose” ?

« C'était effectivement une des possibilités ! On garde l’idée de côté… ».

Propos recueillis par Frédéric Taddei

 

La première émission réalisée par la rédaction de de Verre & Protections Mag pour Batiradio accueille Cécile Sanz et Patrick Bouvet
Dans une interview réalisée par Frédéric Taddeï, directeur du magazine, les deux dirigeants reviendront en détail sur le rapprochement de leurs deux groupes.
L’émission intitulée « Vu de ma fenêtre… », proposera aux auditeurs de Batiradio (qui compte déjà 2 000 abonnés à ses podcasts sur www.batiradio.com) trois rubriques : “Les infos du mois” (l’actualité récente de nos secteurs), “l’invité du mois” (interview d’une ou plusieurs personnalités) et “Le billet de… moi”, un éditorial.
Verre & Protections Mag a longuement interviewé Cécile Sanz et Patrick Bouvet dans les locaux de Bouvet SA à Membrolle-sur-Longuenée (49) le 4 décembre dernier