Certains sujets sont peu faciles à aborder car très clivants. Le cas des menuiseries polonaises qui, depuis plusieurs années, pénètrent en force le marché européen, notamment celui de la France et de l’Allemagne, fait partie des thèmes délicats pour un responsable de magazine professionnel. En effet, même si nous n’avons pas pour mission première de défendre les entreprises de notre pays, notre rôle d’informer n’en demeure pas moins empreint de solidarité avec ceux et celles que nous côtoyons lors de nos reportages.
Vous le savez, je déteste la langue de bois : ne comptez donc pas sur moi pour être ni le procureur ni l’avocat de la menuiserie polonaise. Je rentre d’un séjour de plusieurs jours à Poznan en Pologne où se déroulait le salon Budma, une manifestation où le secteur de la fermeture était extrêmement présent et très représenté, tant du côté des fabricants que de leurs fournisseurs. Nous publierons dans notre prochaine édition un dossier complet sur la fenêtre polonaise. En attendant, permettez-moi de mettre mon grain de sel dans le débat, dès lors, qu’ayant rencontré les menuisiers polonais, je commence à avoir une vision un peu plus claire des choses.
Tout d’abord, il est indéniable qu’en proposant, sur le marché français, des menuiseries à des prix de moins 30 % à qualité égale, certains fabricants polonais mettent clairement en péril notre secteur. Et si en plus, ils reçoivent des aides européennes pour mieux réaliser cela, c’est véritablement scandaleux.
La fenêtre n’est pas un produit naturellement destiné à l’export, parce que c’est un marché dont la spécificité principale repose sur des notions de “sur-mesure”, de proximité et de réponse rapide à la demande. De plus, chaque pays a ses spécificités architecturales qui font qu’il existe des ouvrants “à la française” qui ne sont pas des ouvrants “à la norvégienne” ou à “l’italienne”.

La fenêtre n’est pas un marché naturel pour l’export, un point c’est tout.

Mais dans cette affaire ne nous trompons pas de cible. Le coupable n’est pas le menuisier polonais qui vend ses produits moins chers en bénéficiant d’une main-d’œuvre dont le salaire est de 400 euros par mois. Le coupable est à chercher parmi ceux qui ont décidé que la menuiserie polonaise était un produit à aider pour qu’il conquiert des parts de marché ailleurs qu’en Pologne. C’est cela qui est condamnable. Pour avoir un peu observé l’habitat polonais, je pense que le marché local a sérieusement besoin d’être équipé et qui mieux que les menuisiers polonais peut mener cette tâche ?
Et puis, comme ce fut hélas le cas avec le plombier il y a quelques années, il ne faut pas accabler aujourd’hui le menuisier polonais. Ou alors accablons de concert le menuisier espagnol, qui, survivant de “feu le marché espagnol”, pratique dans le sud de la France (et pas uniquement) des prix sur lesquels les Polonais ne pourront bientôt plus s’aligner. Et accablons également les fournisseurs de notre menuisier polonais. Au salon Budma de Poznan, les plus gros stands étaient ceux des fabricants de machines, des gammistes et autres équipementiers, notamment allemands. J’ai visité une filiale d’un important extrudeur européen. Je lui ai demandé s’il ne concurrençait pas indirectement son homologue français. Je n’ai pas compris sa ré­ponse, mais visiblement, il n’avait pas compris ma question ! Il y a donc bien un problème quelque part…
En fait, je pense qu’une fois de plus les instances européennes ont fait les choses à l’envers. Il faut absolument que l’intégration des nouveaux arrivants dans l’UE soit facilitée par des aides au développement. Il fallait donc aider la menuiserie polonaise à s’industrialiser avec les meilleures technologies, simplement parce que le pays a besoin de bonnes fenêtres… polonaises ! Par contre, il ne fallait pas les inciter à viser un marché lucratif à court terme à 1500 km de leurs centres d’usinage. Je le répète, la fenêtre n’est pas un marché naturel pour l’export, un point c’est tout. Franchement, quand on connaît l’importance que revêt l’empreinte carbone aux yeux de Bruxelles, on se demande comment on tolère, voire encourage, une fenêtre à faire 1752 km en camion, la distance entre Poznan et Saint-Gilles-Croix-de-Vie (85), alors qu’on pourrait la fabriquer cent fois moins loin, donc avec un bien meilleur bilan carbone.
Pour terminer, que les choses soient claires, je ne suis pas protectionniste, mais pour le libre-échange et la libre concurrence. Les Polonais ont bien raison d’exporter si rien ni personne ne les en empêche. Les menuisiers français seront, eux aussi, tout à fait dans leur droit s’ils portent plainte à Bruxelles pour se défendre contre ce qu’ils estiment être du dumping.
Bref, il vaudrait mieux que tout cela revienne sur des bases de bon sens et de logique mais j’ai malheureusement la crainte que ce soient deux notions peu en vigueur dans cette Union européenne, que je défends pourtant avec foi et ténacité.