En ces périodes où la notion d’identité nationale est reprise à toutes les sauces par les populistes de tous poils, la fameuse “Clause Molière”, que certaines régions françaises avaient souhaité mettre en place, mérite tout de même quelques réflexions, même si elle vient d’être jugée "illégale" par les pouvoirs publics.
Depuis des années, nous avions l’habitude de voir des engins de chantier Poclain, ainsi il nous faudrait donc désormais composer avec… Poquelin, Jean-Baptiste de son prénom, dit… Molière !
Mon avis, vous vous en doutez, est bien plus que circonspect ! En effet, la concurrence que je considère comme scandaleusement “déloyale” que subissent de plein fouet nos entreprises françaises par le détachement qui permet à une entreprise de l’UE d’envoyer ses salariés en mission dans les autres pays européens, se doit d’être combattue ! C’est une évidence, je l’ai souvent écrit dans ces colonnes… mais prendre le problème par le petit bout de la lorgnette en mettant en avant le “bon parler français” est, à mon avis, peu efficace en terme de résultats.

« Ce n’est pas la chasse
à la syntaxe mais plutôt…
à la taxe qu’il convient
de mener »

En effet, rappelons que Bruxelles autorise le travail détaché « à condition que le salaire minimal du pays d’accueil soit respecté et les cotisations sociales des salariés soient payées dans le pays d’origine ». Nos ancêtres ontils eu besoin de parler correctement italien (comme mon arrière-grand-père), portugais ou espagnol pour aider à construire la France ? Non, simplement, ils travaillaient bien, étaient payés par leur patron français qui payait ses charges comme les autres. Ça ne me dérange pas qu’un bon ouvrier ne maîtrise pas bien le français s’il pose bien sa fenêtre, si son salaire est le même que son collègue maîtrisant mieux la langue de Zola (naturalisé à l’âge de 22 ans) et surtout, si son patron le déclare et paye correctement ses charges. Moi ce qui me gêne, ce sont certaines entreprises qui profitent de la main-d’oeuvre clandestine, payée au noir, corvéable à merci et bon marché, dont ils profitent pour rafler les chantiers et concurrencer nos entreprises. C’est là que se situe le vrai scandale. Ce n’est donc pas le niveau linguistique des ouvriers sur les chantiers qu’il faut contrôler mais le niveau d’honnêteté de ceux qui usent et abusent du travail détaché ou, pire, du travail clandestin. La seule et unique solution que je préconise donc est simple : abroger purement et simplement la Directive “travailleurs détachés” qui devra rendre obligatoires des conditions de salaires et charges identiques à celles pratiquées en France pour les étrangers travaillant sur nos chantiers.
Par contre, que pour des raisons de sécurité, on exige qu’un minimum de compréhension unissent les acteurs d’un chantier, me semble bien évidemment plus que souhaitable. Mais alors pourquoi avoir attendu la concurrence ultra-déloyale des travailleurs est-européens pour s’inquiéter de l’harmonie des langues dans la construction et ne pas l’avoir, dès les années 50, imposée pour
la sécurité des Espagnols, Italiens, Portugais, Maghrébins et Africains qui ont aidé la France à se reconstruire ?
Donc, soyons clairs, ce n’est pas la chasse à la syntaxe mais plutôt… à la taxe qu’il convient de mener et le fait que l’ensemble des salariés du bâtiment vont être équipés de cartes d’identification numériques va, par contre, dans le bon sens. Un contrôleur vérifiant à l’aide d’un smartphone si la personne est en règle pour travailler dans notre pays sera tout de même plus efficace que d’envoyer Bernard Pivot faire des dictées sur tous les chantiers de France !

Editorial de Frédéric Taddeï dansVERRE & PROTECTIONS MAG n°97 / Mars - Avril 2017